Encadrement des loyers à Paris : un premier bilan

encadrement des loyers a paris un premier bilan

Finalement entré en vigueur le 1/8/2015, l’encadrement des loyers parisiens…

…n’est donc plus un serpent de mer comme je l’affirmais dans le billet du 6 janvier 2015. Nous y sommes, donc : depuis le 1er août 2015, Paris est découpé en 80 quartiers, auxquels s’appliquent 14 zones tarifaires. Chaque zone tarifaire est modulée en fonction du nombre de pièces de l’appartement (plus c’est grand, moins c’est cher), de l’année de l’immeuble, et du caractère meublé ou vide de la location. Et concrètement, ça donne quoi ?

1) Pas de révolution en vue

Les loyers de références ont été établis d’après les loyers constatés, il est donc assez logique qu’ils soient proches de la réalité. Comme nous le disions en début d’année, le marché se régule de lui-même et les appartements surévalués ne se louent pas. Une proportion importante de grands appartements (+ de 80 m²) sont donc loués entre le loyer de référence et le loyer de référence majoré. Rien de nouveau donc, ce marché suit son cours naturellement, en respectant l’équilibre offre-demande. Rappelons que la mise en application s’inscrit dans un contexte de ralentissement du marché parisien, et donc de stabilité, voire de baisse des loyers.

2) Les petites surfaces prennent cher (ou plus vraiment)

Les plus touchées sont les petits appartements : un studio de 20 m² dans le 16ème arrondissement, à côté de l’Etoile et des Champs-Elysées ne pourra plus se louer au-delà de 710 € hors charges, alors qu’auparavant, il serait facilement parti à 850 € (20% de plus). Tant mieux pour les locataires de ces appartements, notamment les très petites surfaces pour lesquelles la loi ALUR raisonne les excès. Encore faut-il trouver ce petit appartement à un loyer raisonnable…

3) Incohérences et approximations

Les critères de fixation, le découpage de Paris en 80 quartiers (soit 4 par arrondissement) et les 14 zones tarifaires aurait dû permettre des loyers assez affinés et proches de la réalité. Il n’en est rien. Ce découpage est grossier et entraîne des incohérences stupéfiantes. Revenons sur ce studio du 16ème nord, proche de l’Etoile et des Champs-Elysées, dont le loyer ne peut excéder 710 € : son propriétaire aurait mieux fait d’acheter à la Goutte d’Or, dans le 18ème arrondissement, là où le loyer maximum autorisé serait de 752 € ! Quand on sait que le prix/m² du 16ème arrondissement nord est quasiment le double du 18ème Goutte d’Or, où est la logique ?
De plus, la même rue n’offre pas les mêmes possibilités de loyer : dans la très chic rue des Saints-Pères, un propriétaire louera son 2 pièces de 50 m² 1.865 € s’il est situé sur le trottoir pair, côté 7ème, et « seulement » 1.765 € s’il est en face dans le 6ème. Cette différence ne repose sur aucune réalité de marché, puisque le 6ème serait même globalement plus onéreux que le 7ème.
Enfin que dire de ce bailleur qui aurait envie de transformer son deux pièces de 40 m² en studio pour être autorisé à le louer 76 € de plus par mois ? Ce serait un mauvais choix, contredit par la logique du marché (à surface équivalente, le loyer d’un studio est inférieur à celui d’un 2 pièces), mais de tels effets pervers sont malgré tout à craindre.

4) Le flou du complément de loyer : loup y-es-tu ?

Une autre bizarrerie de cet encadrement est d’autoriser le dépassement du loyer de référence majoré en demandant un complément de loyer. La loi ALUR prévoit en effet qu’un propriétaire peut dépasser le plafond, soit le loyer de référence majoré, lorsque son bien présente des caractéristiques exceptionnelles pour le quartier et le type d’immeuble. Toutefois, ces caractéristiques ne doivent pas être déjà payées par le locataire sous forme de charges. Plaît-il ??? Dans la pratique, cela signifie qu’un bailleur peut demander un complément de loyer pour une belle vue, ou pour une maison car elles sont rares à Paris, ou pour une grande terrasse ou encore en raison de prestations luxueuses. Mais il ne peut pas demander un complément de loyer pour un ascenseur même si celui-ci se trouve dans un immeuble ancien du Marais où ils sont rares, car le locataire paie déjà des charges pour cet ascenseur. De même, le bailleur ne peut pas demander de complément de loyer pour le grand balcon de son appartement des années 80, car le loyer de référence prend déjà en compte la présence de cet attribut du fait de l’année de construction. Enfin, il n’est dit nulle part dans quelle proportion le complément de loyer peut s’appliquer.

5) Des critères imprécis, 3 mois pour contester: le loup est bien là

Ce complément de loyer permet donc de valoriser l’exceptionnel et de prendre en compte la grande hétérogénéité du patrimoine immobilier parisien. Ouf, la loi a donc été bien pensée, me direz-vous. Sauf que si le propriétaire a demandé un complément de loyer à son locataire, il a intérêt à savoir que ce dernier dispose de 3 mois après la signature du bail pour contester ce complément de loyer. Sympa de se retrouver en procédure 1 mois après l’état des lieux ! Le locataire devra alors saisir la commission départementale de conciliation et à défaut d’accord, il devra saisir le tribunal d’instance. Comment la notion d’exceptionnel sera-t-elle appréciée par ces instances ? Dans quelle proportion du loyer de référence le complément de loyer sera-t-il accepté : + 20 % ? + 30 % ? + 40% ?

6) Incompréhension et frustration

Vous n’y comprenez rien ? C’est normal, et vous n’êtes pas seuls. Entre le manque de logique et l’absence de réalisme de ces découpages/zones tarifaires, l’insécurité juridique pour le bailleur, et la complexité des nouveaux contrats de location réglementaires, l’appui d’un professionnel de l’immobilier est plus encore nécessaire. Face à ce contexte, les réactions des bailleurs sont diverses, mais jamais positives : certains propriétaires mettent en vente, d’autres ne veulent plus engager de travaux de rénovation ou même d’entretien courant, d’autres encore s’orientent vers la location courte durée, quitte à enfreindre la loi. Ces réactions n’ont évidemment pas pour effet d’augmenter l’offre locative, ni d’améliorer sa qualité.

7) Moins d’offres = une sélection encore plus stricte ?

Serait-ce la double peine que subissent les locataires ? Pas aussi net que cela en raison du ralentissement du marché, mais il est évident qu’un bailleur dont le locataire est davantage protégé et dont le revenu locatif sera inférieur de 10-20% par rapport au précédent loyer va demander un maximum de garanties au postulant. On voit encore que le déséquilibre des droits entre le bailleur et le locataire porte finalement préjudice à ce dernier.

8) L’encadrement et la loi ALUR dans son ensemble : un très mauvais signal

Les effets positifs secondaires de l’encadrement ne sont pas forcément ceux voulus par ses concepteurs : les acquéreurs de petites surfaces à Paris voient le marché plus en leur faveur, et les propriétaires bailleurs ont aujourd’hui davantage recours à une agence pour assurer une mise en location sécurisée.
A l’inverse, l’effet psychologique de cette loi ALUR sur les propriétaires est néfaste. L’encadrement n’a pourtant pas d’incidence à la baisse sur une majorité des locations, mais il est impossible de nier l’impression très négative ressentie par les propriétaires parisiens : ils se sentent lésés et attaqués, alors que les charges de copropriété augmentent régulièrement, que leurs obligations réglementaires s’alourdissent, et que la taxe foncière a flambé ces dernières années à Paris.
Ce sont principalement les locataires de petits appartements qui peuvent se réjouir de l’encadrement des loyers. Mais la sélection de leur candidature est certainement encore plus exigeante, et ils se trouvent face à une offre amoindrie.
Les politiques françaises menées depuis 35 ans concernant l’immobilier n’ont jamais accru l’offre locative privée, sauf lorsqu’elles s’accompagnent d’une fiscalité avantageuse, les fameuses niches fiscales. Les dispositifs fiscaux tels Périssol ou Scellier ont permis la création d’une population de propriétaires-bailleurs, et leur descendant, le dispositif Pinel, est assez avantageux mais il n’est pas adapté au trop cher marché parisien.
En l’absence de mesure permettant d’adoucir les effets de la loi ALUR, il faut espérer que le marché locatif parisien ne subira pas un effet d’appauvrissement semblable à celui consécutif à la loi 48. A force d’encadrer, contraindre et niveler un marché, l’offre locative pourrait bien se retrouver au plus bas.

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